Soirée – hommage à l’historien et écrivain Jean-Luc EINAUDI (1951 – 2014) - Mercredi 16 octobre 2024 à 19h
Dans le cadre de la célébration du 70e anniversaire du 1er Novembre 1954
Commémoration du 63e anniversaire du massacre du 17 octobre 1961
Projection de 17 octobre 1961 Dissimulation d'un massacre, un documentaire de Daniel KUPFERSTEIN en présence du réalisateur
Avec la participation de :
Fabrice Riceputi, président de l’association Les Ami.e.s de Jean Luc Einaudi, auteur de l’ouvrage Ici on noya les Algériens
Patrick KARL, auteur de la pièce de théâtre 17octobre 61, j'ai vu un chien
Daniel Kuperstein
Chérif CHERFI, du Collectif 17 octobre 1961 Banlieue Nord/Ouest
Lectures zn hommage à J.L.EINAUDI par Nassim Mounsi
Toi qui jettes une fleur dans la Seine en mémoire des Algériens assassinés le 17 octobre 1961, n’oublie pas de garder aussi en mémoire et de saluer Jean-Luc Einaudi !
Le retour à notre mémoire collective du massacre du 17 octobre 1961, longtemps occulté, est le fruit de combats collectifs. Mais il doit beaucoup à un homme, disparu il y a dix ans, auquel nous souhaitons rendre hommage : Jean-Luc Einaudi (1951-2014), « héros moral », selon le mot de Mohamed Harbi, d’un combat de trente ans pour la connaissance et la reconnaissance de ce crime policier, raciste et colonial perpétré en plein Paris.
Ancien militant révolutionnaire, éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nullement historien de métier, à sa mort le 22 mars 2014, Jean-Luc Einaudi avait accompli une œuvre considérable, soit 17 livres publiés, presque tous en relation avec l’ histoire coloniale française.
Ses premiers travaux, menés sur son temps libre et sans autre soutien que sa détermination de « citoyen-chercheur », portèrent dans les années 1980 sur un centre de torture proche de Constantine, la Ferme Ameziane, ainsi que sur l’Affaire Fernand Iveton, cet ouvrier membre du Parti communiste algérien condamné à mort et exécuté « pour l’exemple » en 1957, avec l’aval du ministre de la justice François Mitterrand, alors qu’il n’avait pas fait couler une goutte de sang. Puis il s’attaqua à ce que beaucoup prenaient encore alors pour une rumeur mémorielle sans fondements, puisqu’il n’avait jamais eu jusque-là de travaux d’historien : le massacre par la police parisienne de dizaines, de centaines de manifestants algériens pacifiques qui protestaient contre un couvre-feu discriminatoire et pour l’indépendance de leur pays. Selon le mensonge d’État toujours en vigueur à ce moment, il n’y avait eu ce jour-là que deux morts algériens et un français. Alors que les archives de l’État lui étaient interdites, en collectant notamment une masse considérable de témoignages directs des événements, il parvint à dresser le procès-verbal de cette tragédie dans La bataille de Paris, 17 octobre 1961, publié en 1991.
Six ans plus tard, Einaudi se confronta directement au principal responsable du massacre, Maurice Papon lui-même, lors du procès intenté à ce dernier pour son concours à la déportation vers Drancy puis Auschwitz des juifs de Gironde. Sa longue et implacable déposition devant la Cour d’assise de Bordeaux sur le rôle du préfet Papon à Paris en octobre 1961 fit sensation et contribua encore davantage à faire connaître le drame dans le grand public. En 1999, attaqué en diffamation par le même Papon, il fut relaxé et obtint du procureur la première reconnaissance officielle du fait qu’on pouvait à bon droit parler d’un « massacre ».
Einaudi livra et remporta largement une autre bataille, celle contre la rétention de ses archives relatives à cet événement par l’Etat et leur ouverture à tous les citoyens. Il ne put cependant empêcher que soit injustement et cruellement sanctionnés deux archivistes de la Ville de Paris, Brigitte Lainé et Philippe Grand, qui avaient osé lui apporter leur concours face à Papon et pour lesquels nous devons aussi avoir une pensée particulière. Mais bien des chercheurs et chercheuses qui consultent aujourd’hui librement les archives, tout au moins la plupart d’entre elles, lui doivent d’avoir courageusement mis le pied dans une porte que certains voulaient garder hermétiquement close.
Aujourd’hui, une Association « Les Ami.e.s de Jean-Luc Einaudi » est crée pour faire le travail de mémoire
Texte de Jean Luc Einaudi publié dans la revue du CCA "Kalila", en 2010
Il y aura bientôt quarante-neuf ans que, le mardi 17 octobre 1961, sur ordre de la Fédération de France du FLN, des milliers d’Algériens, hommes, femmes, enfants, (que l’État colonial français appelait alors officiellement Français musulmans d’Algérie) réussissaient à manifester en plein cœur de Paris -dans la gueule du loup, pourrait-on dire- pour protester contre le couvre-feu décrété contre eux, quelques jours plus tôt, par le Préfet de police du général de Gaulle, Maurice Papon.
C’était la première fois, et ce sera la seule, que le FLN manifestait ainsi publiquement pour démontrer à l’opinion publique française et internationale le soutien de la grande masse de l’immigration algérienne à la cause de l’indépendance nationale. Conformément aux directives strictes du Comité fédéral de la Fédération de France du FLN, des cortèges défilèrent pacifiquement entre la place de la République et l’Opéra, des bidonvilles de Nanterre jusqu’au pont de Neuilly, boulevard Saint-Michel, sur les Champs-Élysées. Le plus souvent, les manifestants avaient revêtu leurs habits du dimanche.
Mais, bientôt, la répression s'abattit sur eux sans qu'il y ait d'affrontements. La police chargea, ouvrit le feu, et une chasse à l'homme s'engagea contre tous ceux qui avaient l'apparence supposée d'un Algérien. Comment nommer autrement que de barbarie le caractère que revêtit la répression qui se déchaîna alors. Ce jour-là marqua le paroxysme de pratiques policières qui s'étaient déjà répandues depuis longtemps à Paris et dans sa banlieue. De nombreux policiers, couverts par leur hiérarchie, virent là l'occasion de donner libre cours à leur volonté de vengeance contre l'ensemble d'une communauté. Ce fut ainsi que des hommes furent jetés dans la Seine du haut des ponts de Paris et de la banlieue. Dans l'enceinte même de la Préfecture de police, des policiers se livrèrent aux pires violences et, au cœur de la nuit, plusieurs dizaines d'hommes furent tués. Au Palais des sports, réquisitionné, des Algériens tombaient sous les coups portés par ceux qui s'appelaient "comité d'accueil". Des violences semblables, portées sur des hommes sans défense, furent commises au stade de Coubertin, au camp de Vincennes, ainsi que dans différents commissariats. La violence qui se déchaîna ce jour-là était le produit d'une longue tradition d'exactions coloniales et la haine raciale était le moteur de ces crimes.
Dans la nuit-même, le mensonge d'État, allié naturel du crime, fut mis en œuvre en prétendant que des manifestants avaient tiré et que les policiers avaient riposté en légitime défense. Dans les jours suivants, tout fut mis en œuvre pour dissimuler l'ampleur du massacre. Il y eut pourtant des protestations, quelques petites manifestations, des demandes de commissions d'enquête, mais pas de réaction à la hauteur du crime. Par la suite, la dissimulation et l'oubli faillirent l'emporter. Seule l'action de quelques hommes (citons, entre autres, Pierre Vidal-Naquet et Georges Mattéi) permit de transmettre la mémoire puis à l'histoire de s'écrire. Depuis plus de vingt ans, c'est dans cette suite que s'inscrivent mes recherches et les trois livres que j'ai écrits autour de ces événements (La bataille de Paris, en 1991;Un massacre à Paris, en 2001;Scènes de la guerre d'Algérie en France, en 2009). Il en va de l'idée que je me fais de la responsabilité du citoyen.