Rencontre-débat autour des massacres du 17 octobre 1961 Jeudi 13 octobre 2022 à 19h
Dans le cadre de la célébration du 60e anniversaire de l’Indépendance
Avec la participation de :
- Mohammed Ghafir, dit Moh Clichy, ancien « Super Zonal » à Paris de la Fédération de France du FLN, auteur de Ma douleur. Mon arrestation par la DST en 1958 et de Droit d’évocation et de souvenance sur le 17 octobre à Paris
- Fabrice Riceputi, historien, auteur de Ici on noya les Algériens : La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961
- Alain Ruscio, historien, spécialiste de l'histoire coloniale de la France en Algérie et en Indochine, auteur de plusieurs ouvrages dont Les communistes et l'Algérie : Des origines à la guerre d'Indépendance, 1929 - 1962 et de Nostalgérie : L'interminable histoire de l'OAS.
17 Octobre 1961 : La violence coloniale au cœur de Paris
Il y aura bientôt quarante-neuf ans que, le mardi 17 octobre 1961, sur ordre de la Fédération de France du FLN, des milliers d’Algériens, hommes, femmes, enfants, (que l’État colonial français appelait alors officiellement Français musulmans d’Algérie) réussissaient à manifester en plein coeur de Paris -dans la gueule du loup, pourrait-on dire- pour, protester contre le couvre-feu décrété contre eux, quelques jours plus tôt, par le Préfet de police du général de Gaulle, Maurice Papon.
C’était la première fois, et ce sera la seule, que le FLN manifestait ainsi publiquement pour démontrer à l’opinion publique française et internationale le soutien de la grande masse de l’immigration algérienne à la cause de l’indépendance nationale. Conformément aux directives strictes du Comité fédéral de la Fédération de France du FLN, des cortèges défilèrent pacifiquement entre la place de la République et l’Opéra, des bidonvilles de Nanterre jusqu’au pont de Neuilly, boulevard Saint-Michel, sur les Champs-Élysées. Le plus souvent, les manifestants avaient revêtu leurs habits du dimanche.
Mais, bientôt, la répression s'abattit sur eux sans qu'il y ait d'affrontements. La police chargea, ouvrit le feu, et une chasse à l'homme s'engagea contre tous ceux qui avaient l'apparence supposée d'un Algérien. Comment nommer autrement que de barbarie le caractère que revêtit la répression qui se déchaîna alors. Ce jour-là marqua le paroxysme de pratiques policières qui s'étaient déjà répandues depuis longtemps à Paris et dans sa banlieue. De nombreux policiers, couverts par leur hiérarchie, virent là l'occasion de donner libre cours à leur volonté de vengeance contre l'ensemble d'une communauté. Ce fut ainsi que des hommes furent jetés dans la Seine du haut des ponts de Paris et de la banlieue. Dans l'enceinte même de la Préfecture de police, des policiers se livrèrent aux pires violences et, au coeur de la nuit, plusieurs dizaines d'hommes furent tués. Au Palais des sports, réquisitionné, des Algériens tombaient sous les coups portés par ceux qui s'appelaient "comité d'accueil". Des violences semblables, portées sur des hommes sans défense, furent commises au stade de Coubertin, au camp de Vincennes, ainsi que dans différents commissariats. La violence qui se déchaîna ce jour-là était le produit d'une longue tradition d'exactions coloniales et la haine raciale était le moteur de ces crimes.
Dans la nuit-même, le mensonge d'État, allié naturel du crime, fut mis en oeuvre en prétendant que des manifestants avaient tiré et que les policiers avaient riposté en légitime défense. Dans les jours suivants, tout fut mis en oeuvre pour dissimuler l'ampleur du massacre. Il y eut pourtant des protestations, quelques petites manifestations, des demandes de commissions d'enquête, mais pas de réaction à la hauteur du crime. Par la suite, la dissimulation et l'oubli faillirent l'emporter. Seule l'action de quelques hommes (citons, entre autres, Pierre Vidal-Naquet et Georges Mattéi) permit de transmettre la mémoire puis à l'histoire de s'écrire. Depuis plus de vingt ans, c'est dans cette suite que s'inscrivent mes recherches et les trois livres que j'ai écrits autour de ces événements (La bataille de Paris, en 1991 ; Un massacre à Paris, en 2001 ; Scènes de la guerre d'Algérie en France, en 2009). Il en va de l'idée que je me fais de la responsabilité du citoyen.
Article de feu Jean-Luc EINAUDI, paru au mois d’octobre 2010 dans la revue du CCA, Kalila